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Réforme systémique ?

Roch Du Pasquier est psychologue clinicien et formateur au Copes, il anime le stage sur la pratique systémique et la thérapie familiale. Il aime écrire et nous avait délecté, il y a quelques temps, d’une série d’articles pour rendre la thérapie systémique plus abordable. Il revient, reposé de ses vacances, avec un article d’actualité!



Colchiques dans les près, fleurissent, fleurissent

Colchiques dans les près, c’est la fin de l’été…

Je redescends de la montagne et je viens de constater le phénomène, la dernière semaine d’août les colchiques sont partout. Elles exhibent leurs pétales parmes perchés sur leurs tiges graciles, mais attention, la fleur est toxique. Vous voici prévenus !

C’est la fin de l’été, et, comme les colchiques, le mot systémique fleurit dans nos journaux. Retraites : quand Macron temporise pour une réforme systémique, titre Le Point; un Emmanuel Macron résolu à donner tout le temps au temps dans cette réforme qui serait la première vraiment systémique, raconte La République des Pyrénées; La théorie systémique, qu’est-ce que c’est ? tente Cécile Dutriaux dans La Tribune… Je suis sûr que vous en avez vu d’autres. Est-ce que, comme semblent le penser nombre de commentateurs, réforme systémique veut dire réforme du système ? Ce n’est pas certain.

Dans le Dictionnaire historique de la langue française je trouve système du grec sustêma (assemblage et ensemble). C’est un bon début. Le mot évolue : au 16e il devient un ensemble de proposition ordonnées pour constituer une doctrine cohérente; au 19e une armature contraignante dans un sens péjoratif que l’on retrouve avec les expressions « tu commences à me porter sur le système ! » ou « si ça continue, je vais m’faire sauter le système »; enfin, par extension, le système s’est appliqué à un fait ou à un objet dépendant d’un autre par sa fonction. Voilà qui nous approche de notre sujet. Le Petit Robert ne nous apporte rien de notable, pas plus qu’un Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines redécouvert par hasard en faisant le ménage. Maintenant voyons la bible, le Dictionnaire des thérapies familiales sous la direction de Jacques Miermont. Système de communication, système familial, système fermé, ouvert. Systémique ? Consternation, le terme est absent de mon dictionnaire étalon ! Il va nous falloir avancer seul, hors des sentiers balisés. Bon, rassurez-vous, j’ai pratiqué ça tout l’été.

À l’antenne le Président explique qu’il veut réussir le passage à un régime universel pour unifier les différents régimes de retraite, son objectif est de parvenir à l’équilibre, pour cela une réflexion collective est nécessaire, et la solution, moi, je ne l’ai pas dans la poche. Tiens, tiens, ça me rappelle vaguement quelque chose. Hop, je délaisse les pâtures fleuries, je délace mes brodequins et je me précipite sur la table en mélèze de mon arrière grand-père pour réviser ma systémie. Unifier les différents régimes : il veut trouver une solution groupale / Parvenir à l’équilibre : c’est le principe de l’homéostasie que Jackson, à Palo Alto, a appliqué aux familles. Un principe extrêmement précieux pour les thérapeutes familiaux (et les politiciens s’ils savaient s’en servir). Un principe qui a permis aux systémiciens de prendre en compte l’énorme résistance au changement du groupe qui maintient son équilibre coûte que coûte. Un principe qui permet de reconnaitre la provocation que la famille (la société) adresse à son thérapeute (son président) sous la forme d’une peur panique du déséquilibre. Elle se traduit par un « aidez-nous à ne pas changer » qui parait paradoxal si on méconnait le principe de l’homéostasie. Attention, Don D. Jackson précise que pour changer il faut provoquer le système mais soutenir les personnes. C’est peut-être ce qu’a oublié de faire notre jeune Président lorsque les ronds-points ont attrapé la jaunisse ? Bon, revenons à nos moutons. / La solution, moi je ne l’ai pas dans la poche : encore un principe systémique, la position basse cette fois.

Je ne sais pas si notre Président a lu Pragmatics of Human Communication (traduit en Une logique de la communication), il est trop jeune pour avoir été copain avec Don D. Jackson. Mais si ce n’est pas lui qui l’a lu, c’est donc son frère. Ce qui est certain, c’est qu’Emmanuel Macron affectionne la systémie. À l’occasion, pour parvenir à la pratiquer avec davantage de souplesse, il devrait s’associer à un bon thérapeute. Je dis thérapeute, je dis clinicien pas théoricien. L’un ne va pas sans l’autre, parait-il ? Méfions-nous tout de même des fausses évidences. Ah, je me trompe encore, « Dans la méthode, il nous faut réussir à inclure davantage les Françaises et les Français » répond-il à l’AFP. Indiscutablement, Emmanuel Macron a décidé de changer de méthode. Il est dans une posture d’humilité rare, commente Le Monde dans ses colonnes. Peut-être a-t-il, pendant l’été, relu ses principes systémiques ? S’il n’y a qu’une seule chose à retenir de la réforme systémique, c’est que personne ne semble l’avoir comprise. Pour changer un système (un couple, une famille, une équipe, une nation), il faut certes un agent provoquant son équilibre. Mais cet agent, connaissant le principe de l’homéostasie, ne va pas provoquer n’importe comment. Oulala, surtout pas malheureux ! Il va provoquer en disant « la solution, moi, je ne l’ai pas dans ma poche » et il va être humble. Pas seulement dans une posture « d’humilité rare », mais tous les jours. Il va abandonner sa place d’expert et accompagner le système dans sa recherche d’un nouvel équilibre.

Il n’y a pas si longtemps, pour vous familiariser avec les concepts systémiques, je vous avais convié à une transatlantique dans les deux sens. D’abord vers la côte ouest des États-Unis, ensuite vers l’Europe. Mais aujourd’hui, si le nouvel Emmanuel Macron tient ses promesses, cela ne sera plus nécessaire. Inutile de visionner en boucle vos antiques cassettes VHS du lieutenant Columbo; de courir rencontrer Maurizio Andolfi qui a déménagé en Australie, le fourbe; de pratiquer la nécromancie pour demander de l’aide à Don D. Jackson : écoutez la voix de notre Président ! Mais attention tout de même, si les colchiques sont belles elles n’en restent pas moins mortelles à qui voudrait les mâcher sans réfléchir. On éprouve comme une éponge dans la gorge et l’estomac, un déchirement dans les entrailles, des démangeaisons par tout le corps, précise J. C. Valmont de Bomare dans son Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturel.

Alors, mesdames et messieurs les commentateurs de tous poils, abstenez-vous donc un peu d’employer une expression que vous ne connaissez pas, ça nous fera des vacances !

Roch Du Pasquier